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== Carnet de bord ==
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Lectures, tutoriels, commentaires

G.K. Chesterton - Saint Thomas du Créateur

Aquinate Chesterton philosophie théologie

Table of Contents

  1. Un style inimitable
  2. Une biographie très succincte
  3. Saint Thomas contre saint Augustin?
  4. Saint Thomas, le vrai Réformateur

Un style inimitable

“Saint Thomas du Créateur” se lit autant si on veut en savoir plus à propos de Saint Thomas d’Aquin que si on apprécie le style de Gilbert K. Chesterton. Il est d’ailleurs possible de lire cet ouvrage un peu vite, sans chercher à en retirer quelque chose au sujet du premier, en savourant tout simplement l’écriture savoureuse et inefficiente du second.

De plus, on peut être surpris, après avoir lu près de la moitié de l’ouvrage, en réalisant qu’on a autant appris de la vie et de la pensée de l’Aquinate que de la vie de Saint François d’Assise et de la pensée de Saint Augustin. Chesterton présente en effet une vision littéralement contrastée de Saint Thomas, par parallélisme et orthogonalisme avec ces deux autres grands saints catholiques.

Conséquence de cette manière originale de présenter les choses, on ressort de cette lecture avec une envie de se plonger plus à fond dans la Somme de Théologie et autres pièces maîtresses de la scolastique thomasienne, mais aussi avec l’envie de rattraper quelque retard concernant l’augustinisme.

Par ailleurs, Chesterton profite de ce commentaire très personnel sur Saint Thomas pour régler ses comptes avec les humanistes et autres sophistes qui constituent l’essentiel de la “philosophie” moderne.

Une biographie très succincte

Si l’ouvrage évoque quelques aspects de la vie de Thomas, il ne peut pour autant pas être vraiment qualifié de biographie. Pour Chesterton, l’objectif est bien de présenter une introduction à la philosophie de saint Thomas, et il se limite donc à survoler les quelques épisodes de sa vie qui ont une utilité directe pour faire comprendre au lecteur le contexte dans laquelle sa pensée a émergé.

Le contexte - très surprenant pour qui a une vision trop simpliste de la Chrétienté - est celuis de guerres incessantes entre l’Eglise catholique et le Saint Empire romain germanique (“guerre internationale en ce sens spécial où nous parlons aujourd’hui de paix international - p 45).

La nuance est faible entre guerres et querelles de famille à cette époque, et la famille de Thomas est typique de son époque. Prenant en compte son tempérament spirituel, on veut en faire un abbé bénédictin, mais il préfère rejoindre les nouveaux frères prêcheurs dominicains. La famille s’y oppose farouchement, mais de guerre lasse finit par accepter la décision irrévocable de Thomas.

Le premier et véritable maître de Thomas fut saint Albert le grand, qui lui inculqua, lors de ses cours à Cologne, le véritable esprit scientifique: “l’important n’était pas tant l’exactitude ou la multitude des faits connus que l’attitude mentale qu’ils provoquent” (p 58).

“Vous l’appelez le Boeuf muet. Et moi je vous dis qu’un jour le mugissement de ce boeuf remplira l’univers”.

Les qualités de Thomas, vite repérés par son maître, lui valent d’être choisi pour défendre l’ordre dominicain à Rome, où ses adversaires s’efforcent de le faire interdire par le pape. Avec Bonaventure le franciscain, Thomas remporte cette première bataille.

Une deuxième bataille est aussi remportée par Thomas,

Le parallèle avec saint François est le suivant: tous deux ont renforcé le lien entre la foi catholique et le monde créé, mais par des moyens différents. Pour saint François, la contemplation de la Nature; pour saint Thomas, par la philosophie d’Aristote.

citation: “ces deux grands saints ont réaffirmé l’Incarnation et ramené Dieu sur terre”.

Saint Thomas contre saint Augustin?

chaque génération cherche instinctivement le saint dont elle a besoin

C’est sur le sujet du rapport avec la matière (donc avec le corps) que se situe, selon Chesterton, les divergences entre Thomas et Augustin. Il présente Thomas en successeur d’Aristote et Augustin en successeur de Platon, et on retrouve entre tous deux la dichotomie entre le philosophe du réel et le philosophe des idées (qu’on se rappelle cette scène du grand tableau “L’école d’Athènes”, sur lequel Aristote et Platon échangent et pointent l’un le bas et l’autre le ciel - monde des idées désincarnées).

Selon Chesterton, “le côté spirituel et mystique du catholicisme des premiers siècles portait trois empreintes”: Augustin (fortement teinté de platonicisme), Denys l’Aréopagite (transcendentaliste) et Bysance (“quasi-asiatique”) (p 27).

Par opposition ou réaction à ces tendances trop spiritualistes, Thomas comme François ont fait preuve d’une dispisition d’esprit plus humblement enracité dans les sens, un “acquiescement à ce qu’il y a d’animal dans l’homme” (p 29). Contre ce “courant grec” dans la théologie chrétienne qui n’a cessé de tendre vers une sorte de platonisme desséché, une affaire de diagrammes et d’abstractions” (p 70), Saint Thomas a voulu rendre la foi plus populaire, la ramener à une religion du bon sens. Ainsi qu’Aristote corrige Platon en prenant “le monde tel qu’il se trouve”, Saint Thomas le prend “tel que Dieu l’a créé” et combat tout à la fois un mépris excessif du corps et le risque de diviser la Trinité qui existe chez Augustin (p 71).

Ce point est d’autant plus important que c’est justement sur le rapport à la matière (au corps) que le Christianisme se distingue d’autres religions comme le Boudhisme, purement spiritualistes.

Saint Thomas, le vrai Réformateur

Ces développements sur la manière dont Thomas se distingue d’influences catholiques (Augustin, etc.) qui l’ont précédé amènent Chesterton à le présenter comme le vrai Réformateur, renvoyant ainsi à Luther.

Si Thomas n’a pas innové en termes de théologique, se contentant de développer plus avant la doctrine catholique, au sens que c’est “une explication de toutes les implications, de toutes les virtualités d’une doctrine, au fur et à mesure qu’on les distingue et qu’on les comprend mieux” (p 26), Chesterton le présente en réformateur - ce qui peut paraître paradoxal.

C’est encore sur le rapport au monde créé que se situe cette analyse: les protestants sont en effet réactionnaires au sens qu’ils s’efforcent de revenir à un pseudo-catholicisme originel et à une doctrine purement spirituelle qui fait fi de la réalité de la Révélation d’un Dieu incarné.

D’ailleurs, Chesterton ne dit pas autre chose de la Renaissance, “résurrection de choses mortes issues d’une tradition morte” (p 36). Elle mériterait donc plutôt le nom de Rechute (p 37), tandis que la Chrétienté du 13ème siècles est réellement une époque novatrice.